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© TVA Films |
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LA VIE EN ROSE
Une photo comme point de départ
Maxime Demers
Le Journal de Montréal
10-03-2007 | 04h06
Tout est parti d’une photo sur laquelle le réalisateur Olivier Dahan est tombé en feuilletant un livre dans un magasin. Une photo de Piaf à 18 ans, alors qu’elle n’avait même pas encore commencé à chanter dans les cabarets de Paris.
«Elle ne s’appelait pas encore Édith Piaf à ce moment-là, raconte le cinéaste de 39 ans. Elle était loin de l’image qu’on
connaît d’elle. Car, même en France, on connaît bien ses chansons et quelques morceaux de sa vie, mais très peu sa vie en général et son enfance.
«J’étais au Virgin Megastore sur les Champs-Élysées quand je suis tombé sur ce catalogue d’une exposition
consacrée à Piaf. Je l’ouvre et il y a cette photo qui m’a interpellé.
«Je suis donc monté au bar du magasin et j’ai commencé à consulter le livre. J’ai envoyé un texto au producteur, résumant ce que je voulais faire. Ça disait quelque chose comme: «Un grand film d’amour, musical, populaire, tragique et
romanesque. Un grand film sur Piaf»…
Le producteur m’a répondu dix minutes plus tard: OK, c’est parti.»
Olivier Dahan s’est aussitôt plongé dans la vie d’Édith Piaf (Édith Giovanna Gassion, de son vrai nom). Un travail
de recherche qui a duré des mois.
«J’ai tout lu, plaide-t-il. Comme je ne voulais pas faire une biographie, je
n’ai pas lu une seule biographie pour l’adapter. J’ai plutôt lu tout ce qui a été
publié sur elle, tout ce qu’il était possible d’avoir, autant des articles de journaux que des livres et d’autres
documents non publiés.
«Je voulais que tout ce qui est dans le
film soit vrai. C’est pourquoi chaque élément que j’ai décidé de mettre a été vérifié dans deux sources différentes. Tout ce qui est dans le film est donc véridique, sauf le personnage de Titine,
la fille du bordel (campée par Mathilde Seigner) où elle a passé une
partie de son enfance. C’est vrai qu’elle
a vécu dans ce bordel, mais comme
il existe peu d’informations à ce sujet,
il a fallu dessiner un personnage qui
synthétiserait cette époque.»
Portrait
Dahan le répétera plusieurs fois pendant
l’entrevue: La Vie en rose n’est
pas une biographie. C’est plutôt un
portrait.
«La dernière chose que je voulais faire,
c’est une biographie. D’ailleurs,
pendant les 15-20 dernières minutes
du film, je ne parle plus de Piaf, je
parle d’autre chose.
«Piaf est le parfait exemple de ce que
je voulais illustrer chez un artiste.
C’est-à-dire la manière qu’ont les
artistes de mélanger leur vie et leur
carrière, la manière de se mettre en
danger physiquement et psychologiquement
tous les jours. Cette mise en
danger est la chose qui m’intéressait
particulièrement. Piaf en est un
exemple extrême.»
La vie en noir
Le réalisateur Olivier Dahan joue un caméo dans
le film, un accordéoniste qui accompagne Piaf au
début de sa carrière dans les cabarets de Paris.
Édith Piaf a passé une partie de son
enfance dans un bordel. Elle est devenue
aveugle pendant quelques mois. Elle a
perdu le seul enfant qu’elle a eu à l’âge de
20 ans. Elle a vu mourir l’amour de sa vie,
le boxeur Marcel Cerdan, dans un
accident d’avion. Quoi que suggère le
titre du film, la vie de la célèbre
chanteuse a été tout sauf rose…
«Ce n’est pas moi qui ai choisi le titre du film
pour le marché international (La Vie en rose),
lance le réalisateur Olivier Dahan. En France,
le film a pris l’affiche sous le titre de La Môme
(référence au premier nom d’artiste de Piaf, La
Môme Piaf).
«Remarquez, avec La Vie en rose, il y a un
petit côté sarcastique que j’aime bien. Cela dit,
c’est le titre d’une chanson qu’elle a écrite elle-même,
donc c’est très approprié.»
Film sombre, La Vie en rose?
«C’est film qui est grave, oui, mais ce n’est pas
noir, nuance Olivier Dahan. En France,
d’ailleurs, les gens qui sont allés voir le film ressortent
de la salle émus mais pas abattus. C’est
une émotion forte mais pas noire ni négative.
C’est une émotion qui peut paraître sombre
mais qui porte beaucoup d’espoir, je crois.»
La Vie en rose nous présente une Édith Piaf
aussi charmante que tyrannique…
«Elle n’était pas que cela, mais elle était
tyrannique et en même temps généreuse,
capricieuse, de mauvaise foi, et adorable», précise Olivier
Dahan.
«Elle avait tout un pouvoir d’attraction. Les gens qui l’ont connue que j’ai consultés me l’ont tous confirmé: elle était comme un aimant. Les gens qu’elle rencontrait restaient autour d’elle.»
Ces gens qui ont connu intimement Piaf, Olivier Dahan a préféré les rencontrer après que le film fut terminé. Pour ne pas se sentir biaisé dans son portrait.
«Ils m’ont d’ailleurs rassuré dans leurs commentaires
en me confirmant que j’étais dans le juste avec ce portrait», indique-t-il.
«Quand George Moustaki dit dans la presse qu’il a retrouvé dans le film la Piaf qu’il a aimée, ou quand des amis intimes me disent des choses comme: on aurait pensé que tu y
étais, tellement c’est authentique, c’est sûr que ça fait très plaisir.
Notes de tournage
La Vie en rose sortira le
16 mars dans une quarantaine
de salles du Québec. Le distributeur
TVA Films a investi plus de
un million de dollars dans la promotion
du film, au Québec seulement.
Piaf étant très populaire
dans la Belle Province, on mise
beaucoup sur ce film. Il semble
qu’à Cannes, l’an passé, les distributeurs
québécois et canadiens
aient fait monter les enchères
très haut pour mettre la
main sur
La Vie en rose.
Marion Cotillard ne chante pas
sur la trame sonore du film. Pour
les scènes de concert, c’est la
vraie voix de Piaf tirée de
différents enregistrements qu’on
entend. Pour les scènes où la jeune
Piaf chante dans la rue, le réalisateur
a fait appel à une chanteuse
professionnelle. Cotillard chante
donc en playback dans toutes
les scènes chantées du film: «Le
playback a été un travail très
éprouvant techniquement et émotionnellement,
témoigne l’actrice.
J’avais envie que le résultat soit
bien, donc je me suis beaucoup investie
là-dedans.»
La Vie en rose ne s’est pas trop
attardée sur les nombreuses relations
amoureuses de Piaf. On
entrevoit seulement quelques-uns
de ses amoureux, comme
Louis Dupont, un de ses premiers
amants avec qui elle a eu,
à 18 ans, sa fille Marcelle qui est
décédée d‘une méningite à l’âge
de deux ans. On voit aussi bien
sûr le boxeur Marcel Cerdan,
l’amour de sa vie, qui est décédé
dans un accident d’avion en 1949.
Les noms de Jacques Pills et
George Moustaki, deux de ses
plus célèbres amants, ainsi que
celui de Charles Aznavour sont à
peine évoqués.
Piaf s’exporte bien encore aujourd’hui.
Comme sa musique (elle
a eu du succès un peu partout
dans le monde), le film sur sa vie
a été présenté en ouverture du
plus récent Festival de Berlin et a
été vendu dans une quarantaine
de pays dans le monde. Comme
quoi personne n’a oublié Piaf.
«Tout le monde connaît la chanson
La Vie en rose qui a été reprise
par plusieurs interprètes
connus, souligne Olivier Dahan.
À force de me promener à
l’étranger pour présenter le film,
je sens que les gens ont beaucoup
de respect pour elle. En France,
c’est différent; on a un rapport
plus intime avec Piaf.»
La Vie en rose est le sixième
long métrage d’Olivier Dahan. Le
cinéaste diplômé de l’École d’art
de Marseille et passionné de
musique (il a réalisé des clips
pour, notamment, Mc Solaar et
The Cranberries) a mis en scène
quatre premiers films «plutôt
sombres» (pas sortis au Québec)
avant de diriger le plateau de la
méga production Les Rivières
pourpres 2.
Le rapport entre Les
Rivières pourpres 2 et La Vie en
Rose? «Aucun! répond Dahan en
riant. Les Rivières pourpres 2,
c’est pour m’amuser. Un gros
budget, un scénario un peu con,
de l’action… J’avais envie de faire
de la mise en scène pour faire
de la mise en scène.»
Succès critique et populaire
Bruno Lapointe
Le Journal de Montréal
Quatre millions d’entrées en trois semaines. Il n’y a pas à dire, le nouveau film sur la vie d’Édith Piaf, d’Olivier Dahan, fait un tabac chez nos voisins français. La Vie en rose a pris l’affiche en France il y a un mois sous le titre de La Môme.
Plusieurs critiques ont accueilli ce film à bras ouverts. D’autres moins…
De grands journaux et magazines cinématographiques ne tarissent pas d’éloges à l’égard du dernier film d’Olivier Dahan.
Encensé par la critique
La revue Studio n’a pas hésité à encenser
La Môme. «Dahan a choisi de faire
un film bouillonnant, flamboyant, parfois
même onirique», a écrit Patrick Fabre.
Rania Hoballah était du même avis dans l’article qu’elle signe dans le quotidien Métro.
«Loin d’une simple biographie classique, La Môme est non seulement un passionnant voyage à travers la
vie d’une femme devenue un mythe, mais également une réflexion sur la création artistique», raconte-t-elle. Beaucoup sont également tombés sous le charme de Marion Cotillard, méconnaissable dans le rôle de la célèbre chanteuse.
«Il faut saluer l’émouvante performance de Marion Cotillard, qui rejoint Piaf par les tripes et par l’âme», écrivait
Marie-Noëlle Tranchant, du magazine hebdomadaire Figaroscope.
C’est également ce qui ressort de l’article paru dans l’édition française de la revue Elle. «La métamorphose de Marion Cotillard en Édith Piaf est époustouflante», selon les dires d’Anne Diatkine.
«S’il fallait trouver un défaut, ce serait celui de cette qualité: le scénario est tellement efficace que l’on n’a pas le temps
de souffler», affirme Stéphane Lamome dans les pages de la revue Première.
Quelques sceptiques
D’autres sont moins convaincus. «Pas de biographie en bonne et due forme, pas vraiment de psychologie, mais un
kaléidoscope», écrivait Jacques Morice dans le site de Télérama.
Le magazine Rolling Stone n’a pas été impressionné non plus. «On regrette qu’Olivier Dahan insiste aussi lourdement
sur sa face misérabiliste, quitte à ignorer l’ampleur de la carrière de Piaf», pouvait-on y lire. D’autres, quant à eux, ont tout simplement détesté.
«Rarement on aura vu mise en scène de la musique aussi désastreuse», tranche Amélie Dubois dans la revue Les Inrocks.
Malgré ces quelques commentaires défavorables, La Vie en rose a jusqu’à maintenant récolté plus de commentaires
positifs que de négatifs. Ce sera bientôt au tour des cinéphiles québécois de trancher.